Consignes : La photographe Rachel Levy réalise, lors de ses promenades, des clichés de fleurs fanées, mises en scène dans leur environnement naturel. Rachel veut ainsi révéler la beauté d'une fleur mature. D'une fleur qui, comme un visage, porte les marques d'un long vécu. Qui porte les marques de ses expériences. Chaque participant choisit une fleur et écrit un texte inspiré de cette fleur.
Voici un mix des réponses obtenues.
C'est à quatre pattes sur un lit, les jupons relevés et la culotte bouffante bouffée que Dolorès de Lañañas avait été retrouvée morte ce samedi matin-là. L'inspecteur Breloque pensait vite conclure l'affaire, d'autant qu'un concours de golf l'attendait à midi pile. Mais l'enquête se révéla bien plus complexe que prévu. Pourtant la morte avait été égorgée, le couteau traînait sur le sol de la chambre de ce bordel de centre ville, l'endroit était mal famé et avait fait l'objet de plusieurs tentatives de fermeture, en vain ; il s'agissait forcément d'un client mécontent de la prestation ou d'une jalousie entre prostituées. Que nenni ! Tout ça semblait bien trop simple. L'inspecteur ne put s'empêcher de caresser les nombreux jupons de la dame ; c'était si doux, si soyeux, si surprenant qu'on aurait dit une rose, une rose fanée, certes, mais une belle rose tout de même. L'inspecteur Breloque eut du mal à cacher un début d'érection. Il prit congé, jura qu'il reviendrait plus tard, et partit vite sur le terrain de golf pour se dégoupiller les balles.
Macha
Une lionne farouche déploie ses couleurs de feu et de rosé. Elle s'enflamme avec élégance. Sa couronne de flamme fait fuir ses ennemis car elle est un dragon des jardins. Sa gueule orangée déploie des artifices, des feux de bengale, elle explose de beauté ; telle une hydre elle déplie ses têtes pour impressionner ses comparses. Elle se déroule tel un soleil, elle se darde de mille rayons pour illuminer les jardins. C'est une guerrière, une amazone, une méduse. Seule, une fois sa corolle tranchée d'un coup de sécateur, elle périt. Elle flétrira mais elle sait que ses pistils formeront une armée de dragons pour la venger de l'homme qui l'a guillotinée sans une once de compassion, juste pour orner son salon avec d'autres victimes. Ses couleurs disparaîtront au fur et à mesure. Elle s'en moque car elle est le phénix qui renaît de ses cendres.
Nadège
Danseuse aux pieds tambours, te souviens-tu des pleurs de la cithare jusqu'aux lueurs du jour ? Rêves-tu parfois encore de tes mains levées vers le ciel quand ta robe chantilly venait lécher le sol ? Te rappelles-tu le vent, te rappelles-tu la pluie battant sur ton visage au rythme du cajón ? Connais-tu toujours ce chant du monde qui tourne et tourne dans son infinie ronde maintenant que tu pars ? Entendras-tu, le soir, arrosé de mes rires, d'autres roses aux joues pourpres que je trouverai belles ? Sache que jamais je n'oublierai, moi, l'odeur suave de tes replis secrets. Jamais je ne cesserai, même les paupières closes d'avoir trop admiré les roses, de songer aux mots que souvent tu me soufflais quand dans mon cœur j'étais ferraillé. Maintenant, va, vole, reviens à la terre et reviens-moi à la nuit tombée dans une perle de rosée.
Nathalie
Cette année, je me suis pris dix ans d'un coup, j'ai le bouton du cœur à nu, les pétales m'en sont tombés englués dans la marée noire de mes soucis. Et puis, comme pour m'aimer un peu, ce matin, je me suis photographiée. N'est-ce pas plutôt une réglisse plutôt que la noirceur de mon âme déposée sur ma robe empourprée, fripée telle une flanelle. Mon cœur, lui, bien à nu, est si bien recousu.
Floriane
Il avait eu son heure de gloire, astre d'or et de feu, fier, unique en son genre, dressé vers les cieux. Enfant chéri d'une brassée de dahlias sombres, du mauve au presque noir, il illuminait les jours, les nuits, brillant tel un ballon d'or sous les faisceaux d'argent d'une lune enamourée. Le seul, l'unique, un petit roi soleil, prince et monarque incontesté du triste parterre d'automne à l'ombre tiède des oliviers. Et puis le temps avait fait son œuvre, le temps sournois, patient, injuste, comme à son habitude. Son amie de cœur, son amoureuse, la fleur de pissenlit sur le parterre d'en face avait perdu une à une ses fulgurances et ses duvets attaquée bien trop tôt par un Alzheimer cruel. Il l'avait vue s'envoler, cette belle âme, et à son tour il s'était flétri. Il ne savait pas que ça durait si peu ; il avait eu son heure de gloire.
Kate
D'où viens-tu Rosalie ? Tu as vu dans quel état tu as mis ta robe ? Une si jolie tenue toute froissée et déguenillée. C'était bien la peine que je la repasse pour ta soirée d'anniversaire chez Marie. Et tes cheveux ? Tu t'es regardée dans une glace ? Mais qu'est-ce qui t'est arrivé ? Quelqu'un t'a arraché les cheveux, ma parole ! Regarde-moi ! Tu as le teint jaune comme un citron ! Il va falloir que tu m'expliques...
Martine
J'aurais dû emporter des bonbons. Tiens des chamallows ! Mais les fleurs c'est tellement beau. Même si elles ne sont plus en bouton. Il y a un message dans les fleurs. Chaque fleur porte un message, un message instantané, pas comme ceux que j'échange avec la Terre et qui mettent plus d'un quart d'heure à me parvenir. Ah ! tiens, voilà justement le message d'appel de la Terre qui arrive. Allô, oui allô, le centre de contrôle, oui je vais bien. Enfin je vais encore bien. Ma rose ce n'est pas pareil, elle commence à se faner. Je comptais sur les rayons cosmiques pour la tenir en forme, mais c'est raté. J'ai l'impression qu'elle devient fluorescente, mais elle se flétrit la pauvre. Quand les martiens vont la voir, je ne sais pas comment ils vont réagir ! Non, non, non, je n'ai pas été attaqué par des martiens. Allô, allô centre de contrôle ! vous me recevez ? Moi je vous reçois 3 sur 5, pas terrible. Non pas d'attaque de martiens. Ma fleur, ma rose, elle était en bouton au départ, maintenant elle vire au tas de feuilles fanées. Arrêtez de rire, je voudrais bien vous y voir moi, assis pendant plus de six mois. Liaison interrompue. Prochain contact dans 136 heures 25 minutes et 43 secondes. Roger-out ! Bon, pour m'occuper je vais essayer de refaire le bouton de rose à partir d'un tas de pétales fanés, mais c'est comme de refaire un cochon à partir de barquettes de lardons.
Jef